Delphine : une expérience avec la wicca en semi solitaire
Je suis née en 1980. Autant dire qu’à la prime adolescence, je n’ai pas internet. Cette situation perdure jusqu’à mes 24 ans. Mon père n’a pas voulu que je touche à l’ordinateur familial avant. Non, je n’étais pas chez les mormons… Plutôt, cela souligne le rapport que les gens avaient en général avec le matériel informatique et l’aspect onéreux de la navigation virtuelle.
En 1993, j’achète mon premier oracle et je me bricole un pendule et un ouija. En 1994, je reçois mon premier livre de magie ou plutôt de haute magie (rien de plus décourageant pour une débutante mais je m’accroche ! ). De façon concomitante, je débute en psychométrie avec un bon taux de réussite. J’ai quelques complices, toujours prêtes à se prêter à quelques expériences télépathiques à l’aide des cartes Zener. Ceci dit, faute de sources littéraires au CDI ou à la bibliothèque municipale, je tourne en rond. Jusqu’à Buffy et Charmed ! Et là, de m’écrier, « mais c’est possible ! Il y en a d’autres ! Tout ça me parle ! ».
En 2005, j’acquiers mon ordinateur portable, mon autonomie et mes premières emmerdes de vie d’adulte, cette liberté ne saurait avoir de saveur sans quelques tracas, n’est-ce pas . Je vis alors dans les Ardennes Françaises. La Belgique est là, toute proche, qui m’attend les bras ouverts, le Pagan web aussi. Je croise beaucoup de monde à la grande époque des forums. Il y en a des pages et des pages sur les moteurs de recherche. De quoi ravir tout le monde, de réconforter toutes les âmes en mal d’appartenance. Partout je lis « wicca », à croire que le paganisme n’est que cela. Omniprésente, elle modèle le chemin de chacun. Je cherche à rencontrer alors mes pairs ésotériques ce qui m’amène sur la route d’un wiccan luciférien. Je trouve son discours un peu étrange. Je me dis que je manque d’expérience et de recul, donc je reste ouverte d’esprit en attendant de voir.
Je rencontre le grand garçon dans sa ferme familiale où il vit avec sa mère. Nous sommes en août. Il porte, choix judicieux par cette chaleur de plomb, une chemise à manches longues en satin synthétique, un pantalon en simili cuir, de grosses chaussures montantes. Ses cheveux, anciennement décolorés avant de devenir jaune poussin, sont coiffés en arrière. Place nette au front arborant un fantastique pentacle fait au tampon. La sueur ayant œuvré, je ne sais pas ce que représente le supposé pentacle. Il exsude la solitude et rêve de rencontrer une copine de baguette. D’où être sur son 31, et sapé comme jamais. À l’issue de cette rencontre en esprit, je me suis enfuie très loin des champs de la wicca luciférienne car je venais de tomber sur un représentant aux motivations douteuses. Au bout de 45 minutes, la nudité et le sexe rituel étaient sur le tapis. J’avais presque l’obligation de me mettre en couple avec lui. Il m’assomme d’arguments fallacieux pour tenter de voir ma lune à un esbat. De retour, saine et sauve chez moi, je traverse une période où je suis pour ainsi dire harcelée par cet individu. Pour l’anecdote, il prétend faire des sorties astrales alors qu’il dialogue avec moi sur Messenger.
Je commence à me constituer une petite bibliothèque et m’interroge sur l’éventualité d’entrer dans un coven wiccan. Je crois qu’à l’époque il y eût beaucoup d’appelés pour très très peu d’élus. Je ne trouve pas, cependant je tombe sur une proposition de formation gratuite. « Willow Heart of Wicca » (Elle n’est plus en fonction aujourd’hui), qui était en Belgique, propose d’offrir rencontres et connaissances autour de la wicca. Morgause sa créatrice, consciente que la wicca est omniprésente au point d’éclipser toutes les autres possibilités, a mis au point un cursus d’études et de réflexions afin d’avoir suffisamment de connaissances pour savoir ce qu’est la wicca, le paganisme et de reconnaître les charlatans. Par ce biais je rencontre des néo païens, toujours actifs à l’heure actuelle fidèles à leur voie. Je commence à me rendre en Belgique très régulièrement. Il faut dire que je trouve que le monde païen y est plus actif à l’époque. La taille du pays et la mentalité sont propices au développement d’activités de toutes sortes et les Scott Cunningham viennent agrémenter ma bibliothèque. Je me dis : « c’est bon, je suis wiccane », et d’ajouter « je vais me trouver des soeurcières et fonder un coven ». Et c’est ce que je fais…
Les expériences en cercle sont inénarrables. C’était réellement magique. Le hic est de vouloir se fédérer autour d’amitiés, en lieu et place de se réunir autour d’une voie. Donc je vis successivement la création et la mort de trois cercles. Ce qui est le lot de la wicca. Je ne sais plus si c’est Starhawk ou Fox qui a écrit un texte très intéressant sur les cycles de vie d’un groupe. En tout cas, ça tombe pile sur les dynamiques que je vis à ce moment.
Je rencontre beaucoup de wiccans éclectiques. Eh oui, les purs et durs se cachent, préservant leur filiation que je n’envie pas. Je n’ai pas envie de me faire flageller par un mec à poil paré de cornes. Je n’ai pas besoin de ça pour vivre une expérience spirituelle. D’autant qu’à l’époque, j’étais en couple avec une femme (à défaut, pour mettre une étiquette, je me verrai comme pansexuelle). La seule chose que je constate est que chacun fait sa popote dans son coin, aime bien à l’occasion ritualiser en groupe mais il ne faut pas toucher à la sacro-sainte individualité car au final chaque discours clame en silence : « c’est parce que je suis spéciale ». Et cela avec un air de modestie mal feint, tête inclinée, bouche en cul-de-poule. Mon hypersensibilité me rend réceptive un peu plus que la moyenne. La faute aux neurones miroir. Enfin je trouve qu’il y a pas mal d’âmes en peine à l’époque et autant de gourous en mal d’ouailles. En parallèle plus je lis et plus je cherche à vivre la wicca, moins j’adhère. Je commence à éprouver de la difficulté à me dire wiccane.
Finalement, au terme de quatre années de grattage de croûte, je suis la voie hellénique car là au moins il y a des références universitaires et des groupes qui se tiennent. Travailler avec Hécate me mène à l’Autre Monde, au druidisme. De mon point de vue, elle a éclairé mon chemin jusqu’à cette tradition qui me va. Laissant ainsi les querelles wiccanes et les désirs de coven derrière moi.
Que penses tu du mouvement Wiccan dans un cadre plus général?
Je pense que cette voie rencontre plus de succès outre-Atlantique et outre-Manche. Leur mentalité se prête mieux, je pense, à ce type de pratiques. D’autant qu’aux USA, il n’y a pas mal de beaux mouvements qui ont su créer de véritables traditions réussissant ainsi à dépasser les egos. Chose qui n’est pas encore vraiment possible en Europe, où la wicca pour moi, reste le choix du « pauvre » le plus souvent.
Vois-tu une différence entre la wicca originelle et la wicca moderne ?
Oui ! Il suffit de lire des ouvrages d’hier et d’aujourd’hui pour commencer. Moins patriarcale déjà, je trouve. La wicca actuelle assume ses innovations et travaille avec des sources fiables (scientifiques, archéologiques, psychologiques). Ce qui est plus rassurant que cette enfant bâtarde mi magick mi théosophique qu’elle a pu être à ses débuts.
Quel est le mouvement que tu as choisi, et pourquoi celui-ci…
Éclectique. C’était le compromis qui faisait plaisir à tout le monde. Ce qui fait que les rituels étaient assez cosmopolites, pour mon plus grand déplaisir.
Préfères tu fonctionner seul ou en coven ?
Question difficile. Bien sûr, vivre une expérience ensemble, partager à ce sujet, sentir l’appartenance et la reconnaissance, c’est très très agréable. Mais s’il faut faire trop de compromis, ça gâche un peu le plaisir. Disons que seule, j’étais heureuse car je faisais à mon idée. En cercle, c’était le bonheur du partage et de la compréhension. Maintenant, je suis une tradition qui me permet de vivre des expériences de groupe avec des codes qui me vont de bout en bout. J’ai intégré le fait que, comme en tout chose, je peux avoir mon jardin secret avec une pratique plus personnelle.
As-tu des suggestions particulières ou aimerais tu ajouter quelque chose ?
Je repense toujours à l’Ordre de Dea qui est devenu l’École du Lotus puis l’École des Mystères. C’était à l’époque de la mode des prêtresses, il y a une douzaine d’années. Je m’étais dit que je verrai pour m’inscrire si ça tient le coup. Les changements de pseudo de la créatrice et de nom du mouvement m’ont incitée à rester à ma place. La wicca me fait penser à ça. Nous arrivons maintenant sur la troisième ou quatrième génération de wiccans. Maintenant, c’est intéressant. D’autant plus qu’avec internet, il est simple d’évaluer le sérieux d’un coven.
Souhaiterais-tu qu’un sujet particulier soit abordé sur Alliance Occulte concernant la wicca ?
Les différentes reconnaissances selon les pays. Par exemple, aux États-Unis, il est possible d’avoir un aumônier wiccan en prison ou d’être inhumé selon les rites wiccans. Il est possible d’avoir des jours fériés selon les sabbats car c’est considéré comme une religion, si je ne m’abuse. Ce qui fait que la façon dont cette voie est perçue (et le paganisme en général) modèle la pratique au niveau national. Il suffit de voir la différence entre la Belgique et la France. J’ai l’impression qu’il est plus simple de constituer une ASBL spirituelle en Belgique qu’une association de ce genre en France. Le côté querelleur semble être bien resté en Angleterre et en France, comme si les mentalités s’y prêtaient.